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Economie

Covid et suspension de la dette: la fausse bonne idée du G20

15 octobre 2020

Le G20 a prolongé jusqu’à la fin juin 2021 la suspension du service de la dette de 46 pays parmi les plus pauvres afin qu'ils puissent mieux faire face à l’urgence causée par le coronavirus. Un regard critique.

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La douloureuse réalité du virus en Afrique dépasse la crise sanitaire
La douloureuse réalité du virus en Afrique dépasse la crise sanitaireImage : picture-alliance/AP Photo/File/B. Inganga

Le G20 prolonge de six mois, c’est-à-dire jusqu’à la fin juin 2021, la suspension du service de la dette d’une quarantaine de pays les plus pauvres. Et ce afin de leur permettre de mieux faire face à l’urgence sanitaire et économique causée par la pandémie de coronavirus. 

Actuellement, 46 pays sont concernés par cette mesure, dont la plupart sont situés en Afrique. Mais des ONG et des économistes africains jugent cette annonce insuffisante.

La dette des 73 pays les plus pauvres a augmenté de 9,5% l’année dernière, d’après la Banque mondiale, pour atteindre le niveau record de 632 milliards d’euros.

Alors certes, ce moratoire est une bouffée d’oxygène mais plusieurs ONG réclament davantage : pourquoi le prolonger seulement pour six mois et non jusqu’à fin 2021, par exemple ?

Et  par définition, un moratoire ne signifie qu’une suspension temporaire et non une annulation de la dette, comme le réclame notamment l’ONG Oxfam et 90 intellectuels africains signataires, au mois d’avril, d’un appel pour une refonte totale du système économique.

Quel lien entre dette et lutte contre le coronavirus?

Yves Ekoué Amaïzo, économiste, dirige le think-tank Afrocentricity. Il voit la prolongation du moratoire comme "un plus", mais selon lui, "cela semble avoir plus pour objet d'éviter les défauts de paiement collectifs".

Par ailleurs, il souligne que "la corrélation entre la lutte contre le coronavirus et l'affectation de la dette non-payée n'est pas vérifiée dans les faits, et encore moins pour tous les pays africains. Cela est dû en partie à la corruption et à l'opacité des comptes publics. Dans certains cas, ces fonds ont servi à augmenter les importations et donc la dépendance au monde extérieur au lieu de favoriser les solutions africaines de prévention, notamment dans le domaine de la pharmacopée."

>>> Lire aussi : "Six mois de pandémie de Covid-19 et six mois de corruption"

Sur ce point, le G20 reconnaît que des "traitements de la dette au-delà de la suspension […] peuvent être nécessaires au cas par cas", laissant entrevoir la possibilité d’une restructuration de la dette de certains pays.

Par ailleurs, les fonds débloqués par le service de la dette suspendu peuvent effectivement être affectés durant quelques mois à d’autres dépenses mais ils sont loin de correspondre aux besoins en investissements massifs depuis l’arrivée de la Covid-19. 

Un plan d'aide de l'OMS

Richard Mihigo, coordinateur adjoint de la lutte contre la Covid-19 pour la région Afrique de l'Organisation Mondiale de la Santé, explique que l'OMS a "développé un plan stratégique de réponse chiffré à 480 millions de dollars pour appuyer les pays cette année. Mais chaque pays individuel a aussi développé son propre plan de réponse qui, la plupart du temps, était multisectoriel. Non seulement à la crise sanitaire, mais aussi pour répondre aux autres impératifs de développement." 

Il est donc encore tôt pour chiffrer l'impact économique qu'a eu le coronavirus "et les investissements directs et indirects effectués pour y répondre", poursuit Richard Mihigo.

 

Interview avec le Dr. Richard Mihigo (OMS)

Conséquences "dévastatrices" sur les populations

"Les conséquences ont été extrêmement dévastatrices car la plupart des pays ont pris des mesures de confinement total - qui ont permis de sauver de nombreuses vies - mais qui ont eu des répercussions socio-économiques assez importantes", explique le représentant de l'OMS au micro de la DW.

"La plupart des personnes sur le continent vivent d'une économie informelle et avec les mesures de confinement, c'était très difficile pour une grande partie de la population de faire face à leurs dépenses quotidiennes. Mais le secteur formel a également  été fortement affecté : beaucoup de secteurs de productions qui dépendaient des exportations, en termes d'échanges et de matières premières, ont été fortement affectés. Y compris par la suspension des liaisons aériennes. ((Les pays commencent à peine à se relever de ce confinement. D'ailleurs beaucoup n'ont toujours pas rouvert leurs frontières terrestres pour relancer les échanges entre les différents pays."

Le président sud-africain, Cyril Ramaphosa, vient de déclarer que l'Afrique du Sud ne pouvait pas soutenir le niveau actuel de sa dette et assurer son développement économique et social.

L'Afrique du Sud aussi subit de plein fouet la diminution des échanges (ici le port du Cap en 2019) | Table Bay Hafen |
L'Afrique du Sud aussi subit de plein fouet la diminution des échanges (ici le port du Cap en 2019)Image : Imago Images

Seul un quart de la dette totale suspendu

De plus, seule une partie de la dette des Etats est concernée par le moratoire du G20 – en l’occurrence la dette contractée auprès des instances internationales de créanciers gouvernementaux, soit  24% de la dette totale, selon les chiffres du Réseau européen sur la dette et le développement.

L’Eurodad critique aussi le fait que les pays à revenu moyen, qui comptent parmi les plus fortement touchés par la pandémie sont exclus du moratoire du G20.

L’Eurodad estime donc limité l’impact bénéfique du moratoire, étant donnée "la réticence des prêteurs privés et multilatéraux à y participer". Dans un rapport au vitriol, le réseau compare les mesures du G20 à la tentative dérisoire "d’écoper l’eau du Titanic avec un seau". 

Et si l'Afrique changeait la donne ?
Et si l'Afrique changeait la donne ?Image : Olukayode Jaiyeola/NurPhoto/picture-alliance

Réinventer l'économie africaine

Parmi les changements de fonds préconisés par l'économiste Yves Ekoué Amaïzo, il y a la création de "fonds spécialisés dans les métiers utiles à la population et dans la proximité. Cela permet de laisser la gestion aux acteurs de cette proximité qui peuvent se réorganiser sous des formes juridiques nouvelles que j'appelle les groupements d'intérêts économiques, sociaux, environnementaux et culturels. Et là on peut parler de démocratie participative et économique."

L'économiste défend que ce type d"'économie de proximité" qu'il prône "permet un contrôle quasi direct et immédiat par les populations concernées. Et de ce fait contribue à limiter la corruption liée à la gestion de gros projets, en milliards, par une administration, en Afrique, dont  l'efficacité reste très mitigée, voire excessivement faible."