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"Les sportives n'hésitent plus à dire ce qu'elles pensent"

Sophie Serbini
8 mars 2022

La journaliste française Assia Hamdi a consacré son ouvrage "Joue-la comme Megan" à la lutte des femmes dans le sport.

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Assia Hamdi - französische Journalistin und Autorin von "Joue-la comme Megan"
Image : Elodie Daguin

Depuis plusieurs années maintenant, les femmes n'hésitent plus à évoquer les problèmes qu'elles vivent au quotidien dans le domaine du sport. Assia Hamdi, journaliste française, a consacré cette année un ouvrage à cette lutte. Il s'intitule "Joue-la comme Megan". 

DW : "Joue-la comme Megan" est sorti en juin 2021 après plusieurs années de recherches. Quel a été le déclic, le moment qui vous a convaincu d’écrire un tel ouvrage ? 

Assia Hamdi : C'est un projet qui date de plusieurs années. Je suis journaliste depuis plusieurs années maintenant et je m'intéresse depuis longtemps à ce sujet. Au gré de mon travail, j’ai collecté beaucoup d’infos et de témoignages sur la question des femmes dans le sport. Mais j’ai vraiment eu un déclic fin 2019-début 2020, au moment où il y a eu l’affaire Abitbol (ancienne patineuse artistique française, Sarah Abidbol a accusé son ancien entraîneur d’agressions sexuelles, ndlr).

Ensuite, de nombreuses sportives ont commencé à parler. J’ai été bouleversée par cet afflux de témoignages, cette sorte de #MeToo dans le domaine du sport. La parole s’est vraiment libérée depuis quelques années, pas seulement concernant les violences sexuelles, mais aussi sur d’autres thèmes comme l’égalité salariale, la question de la menstruation ou encore de la maternité. Notamment grâce aux exemples de Serena Williams ou encore d’Allyson Felix. 

DW : Votre livre, et c’est sa grande force, repose sur une quantité très importante de témoignages. Placer les actrices du sport au cœur de votre essai était essentiel ? 

Clarisse Agbegnenou, double championne olympique de judo en 2021
Clarisse Agbegnenou, double championne olympique de judo en 2021Image : Hiroto Sekiguchi/AP/picture alliance

A.H. : Je voulais vraiment leur laisser carte blanche. L’idée, c’était de les contacter en leur exposant ma liste de thématiques et après, elles pouvaient décider sur quel thème elles voulaient réagir. J’ai essayé d’avoir des sportives de haut niveau, comme Clarisse Agbegnenou - qui entre temps est devenue double championne olympique de judo. Elle signe d’ailleurs la préface. Je voulais avoir des sportives connues car le grand public ne sait pas toujours ce qui se passe derrière les coulisses pour ces femmes.

Je voulais aussi donner la parole à des sportives qui sont peu connues du grand public parce qu’il n’y a pas besoin d’être célèbre pour avoir du mérite. Je voulais qu’elles racontent leur quotidien, leur difficulté de maman, ce genre de choses. Ce sont des personnes à qui le public peut s’identifier. Je voulais m’intéresser aux deux profils. J’ai aussi élargi aux arbitres par exemple, aux entraîneures. Je voulais que ce soit complémentaire et le plus exhaustif possible.

DW : On a l’impression que les sportives qui pratiquent un sport individuel, comme Serena Williams ou Simone Biles, ont plus de place pour parler. Pensez-vous qu’un frein existe pour les sportives qui pratiquent un sport collectif ?

A.H. : Une fédération comme celle de handball en France est un moteur dans ce domaine. La mixité au sein des dirigeants, les moyens alloués aux deux équipes qui ont d’ailleurs toutes les deux gagné le titre olympique... Donc je ne sais pas si on peut faire des généralités sur les sports collectifs et les sports individuels. Je pense que c’est plus une question de mentalité autour du sport mais aussi de l’individu en tant que tel. Quand on regarde Serena Williams, on pourrait se dire que les tenniswomen ont la parole plus libérée que d’autres sportives, mais ce n’est pas forcément le cas si on regarde les joueuses d’autres pays. Le terme sportive feministe est encore difficile à utiliser ailleurs qu'aux Etats-Unis.

Je pense que les femmes qui parlent ont surtout réussi à se créer un personnage, à tirer leur épingle du jeu. Clarisse Agbegnenou est un très bon exemple. En judo, il y a quelques années, une femme comme Lucie Decosse n’avait pas eu la même médiatisation qu’un Teddy Riner, alors qu’ils avaient gagné le même titre olympique en 2012. Les retombées n’avaient pas été les mêmes pour elle. Clarisse, elle, a pris le risque de prendre certains sujets à bras le corps et ensuite, de par sa personnalité, son charisme et son palmarès, a réussi à faire parler d’elle autant que ses homologues masculins.

DW : Votre livre s’intitule "Joue-la comme Megan". Vous avez repris le titre du film Joue-la comme Beckham, où une jeune fille se prend de passion pour le football, et vous l’avez détourné pour y faire figurer le prénom de Megan Rapinoe, Ballon d’Or féminin 2019. Pourquoi ? 

A.H. : Ce qui est intéressant c’est que dans le monde occidental, Megan Rapinoe est devenue une vraie figure d'identification. Alors que finalement, elle vient du pays où la place de la femme dans le sport est la meilleure. En Europe notamment, les femmes ont rencontré beaucoup d’obstacles avant de pouvoir pratiquer du sport à haut niveau. Certains sports étaient interdits, le football en particulier a mis énormément de temps à se professionnaliser. Aux Etats-Unis, le football est un sport pratiqué par les femmes puisque les hommes sont plus tournés vers le football américain.

Megan Rapinoe lors d'un sommet sur l'égalité salariale à la Maison Blanche
Megan Rapinoe lors d'un sommet sur l'égalité salariale à la Maison BlancheImage : CNP/MediaPunch/imago images

Mais même si elle vient d’un pays où les femmes sont mieux considérées, son combat résonne car quand on voit le palmarès de l’équipe féminine de football, il semble légitime. Si l'on excepte les derniers JO, il s'agit tout simplement de la meilleure équipe du monde. Après, sa personnalité joue beaucoup. Elle a une certaine franchise. Elle dit souvent que lorsqu'elle voit quelque chose qui la dérange, elle n’hésite pas à hausser le ton. Et ça, c’est vraiment nouveau. 

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DW : Pendant longtemps, c’est finalement un certain type de sport qui était autorisé pour les femmes...

A.H. : Oui, des sports élégants en quelque sorte. Les femmes ont été interdites d’athlétisme aux JO jusqu’en 1928 car on ne voulait pas voir de femmes avec des muscles, on ne voulait pas les voir transpirer, on avait peur pour leurs appareils reproducteurs, pour leur fertilité, etc. Il y avait cette vision de la femme-épouse, de la femme-mère qu’on devait protéger.

Aujourd'hui, les femmes font les mêmes sports que les hommes mais en plus de ça, elles s’expriment. Elles n'hésitent plus à dire ce qu'elles pensent et quand elles ne sont pas d’accord avec leur statut. C’est nouveau et c’est l’avenir finalement ! Cela rejoint des combats dans notre partie de la société comme le domaine de l’entreprise, le monde de la culture, celui de la science. Elles veulent les mêmes droits que les hommes et être entendues. 

DW : Cette lutte pour l’égalité des sexes dans le domaine du sport semble en plein essor en Europe et aux Etats-Unis, mais beaucoup moins dans les régions les plus pauvres du globe, comme l’Afrique. 

Esra'a al-Mobideen, arbitre jordanienne
Esra'a al-Mobideen, arbitre jordanienne Image : Muath Freij/REUTERS

A.H. : Les exemples de développement de la pratique féminine du sport sont moindres en Afrique et même en Asie. C’est un combat très occidental pour le moment. En travaillant sur le livre, j’ai vraiment fait ce constat. Je cite notamment l’équipe de football féminin du Nigéria qui s’est battue pour ses primes lors du dernier Mondial 2019. Cela bouge un peu dans le monde arabe où il y a de plus en plus de sportives, mais aussi des arbitres et même des entraîneures qui coachent des hommes. Cela montre que les esprits s’ouvrent. Mais dans certains pays, dans certaines régions du monde, on part de plus loin encore, car il y a cette difficulté à prendre la parole, à réclamer des droits. Et puis les femmes se battent pour le moment pour des droits encore plus fondamentaux que la pratique sportive.

Il sera intéressant dans les années à venir de voir si certains parcours peuvent servir d’exemple et parler aux jeunes sportives en Afrique, par exemple. Le cas de Serena Williams est par exemple intéressant car elle a réussi dans un sport très majoritairement blanc, avec une corpulence très différente des autres joueuses. A voir si son parcours, qu’on admire en Europe et aux Etats-Unis, peut avoir la même résonance ailleurs. 

>>> A lire aussi : En Jordanie, une arbitre lutte pour la reconnaissance des femmes dans la société

DW : Justement Serena Williams et son physique, parlons-en. En devenant une superstar, elle a quelque peu ouvert la voie à des sportives au physique un peu différent. Le physique de la sportive reste cependant trop souvent objectifié ou jugé, selon vous ? 

A.H. : Dans le livre, je parle de Silvana Lima, une surfeuse brésilienne qui ne correspond pas aux standards de beauté dans ce sport (grandes jambes, cheveux blonds, peau blanche légèrement bronzée). Elle s’est plainte de ne pas trouver les sponsors nécessaires pour financer sa saison. Elle a dû trouver des plans B. Mais on voit ça aussi dans un sport comme le tennis, qui est certes un sport de haut niveau, mais qui est aussi un “style”. Le corps est tellement visible, c’est un sport très esthétique. Dans le ski, on est emmitouflé par exemple, donc c’est différent. Il y a eu des exemples intéressants ces derniers temps, comme les joueuses de beach handball qui se sont plaintes d’avoir eu à porter un bikini pour jouer.

Serena Williams, vainqueure de 23 tournois du Grand Chelem
Serena Williams, vainqueure de 23 tournois du Grand Chelem Image : picture-alliance/ dpa

D’ici quelques années, il sera intéressant de voir si les choses ont vraiment changé. Je me rappelle personnellement avoir grandi avec des affiches de compétitions sportives féminines où les femmes étaient en escarpins, en robe, alors qu’on sait très bien qu’on ne fait pas du basket avec une robe ! De nos jours, sur les affiches et même dans les photos utilisées pour illustrer les articles de presse, par exemple sur le handball, on met des sportives en pleine action et c’est génial ! On voit le muscle, on voit l’effort, on voit la rage et en ça, on met les sportives et les sportifs sur le même plan. 

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DW : Arriver à une plus grande égalité dans le domaine du sport passe-t-il aussi par un plus grand nombre de femmes à des postes de pouvoir ? 

A.H. : La question de la compétence est évidemment primordiale, que ce soit pour un homme ou une femme. Il faut arriver à mettre des femmes compétentes à ces postes de pouvoir. Cela peut faire changer les mentalités. On se dit alors qu’une femme peut faire ce travail-là. Cela vaut pour les dirigeants, mais aussi pour les présidents de clubs, les arbitres, les entraîneurs, etc. A l'heure actuelle, dans un pays comme la France sur lequel j’ai beaucoup travaillé, très peu de femmes dirigent des fédérations. Encore une fois, la fédération française de handball fait par exemple l’effort de mettre des dirigeantes même au niveau fédéral. Il est important que les femmes ne soient pas défavorisées en raison de leur genre et qu’elles puissent accéder à ces postes. 

Concernant les arbitres par exemple, il est important pour une petite fille ou même pour un petit garçon de voir le dimanche matin lors de son match une femme arbitre, que ça se passe bien, que ça devienne quelque chose de normal. C’est important pour l’identification.

DW : Les grandes compétitions, comme les Jeux Olympiques, font de plus en plus d'efforts pour atteindre la parité. Elles introduisent aussi parfois des épreuves mixtes.

A.H. : Le fait de dire qu’on va vers la mixité, de la parité, c’est bien. Les prochains JO d’été, ceux de 2024, seront les premiers avec une parité de 100% au niveau des athlètes. En 1900, les femmes n’étaient que 2%. Il aura fallu 100 ans mais il y a du progrès. On y arrive enfin !

Kim Je Deok et An San, lors de l'épreuve mixte de tir à l'arc aux JO de Tokyo 2020
Kim Je Deok et An San, lors de l'épreuve mixte de tir à l'arc aux JO de Tokyo 2020Image : Cilodagh Kilcoyne/REUTERS

Concernant les épreuves mixtes par équipe notamment, nous n’avons pas encore assez de recul. C’est très récent. Je pense que c’est très stratégique, ça fait joli sur le papier, si on veut être cynique. Mais c’est vrai que si on prend par exemple le judo par équipes, c’est vraiment super à regarder. Je me mets toujours à la place des enfants, et je me dis qu’ils doivent trouver ça super. Nous avons grandi avec les JO où les hommes étaient d’un côté et les femmes de l'autre, et on a construit notre imaginaire sportif là-dessus. Le fait de leur proposer cette vision là, où hommes et femmes sont dans une même équipe, c’est une bonne chose. 

DW : Étant donné que le sujet de ce livre vous tient particulièrement à cœur, y-a-t-il un moment qui vous a particulièrement touché pendant l’écriture ? Ou même après la sortie de l’ouvrage.

A.H. : Ce qui m’a touchée le plus, ce sont les témoignages de personnes moins connues. Comme cette entraîneure de volley, Marie Tari, qui me parlait de la manière dont elle jonglait sa vie de maman et sa vie de coach. De sa difficulté à voir sa fille le week-end. Au sinon, Aurélie Groizeleau qui est agricultrice, maman et arbitre de rugby de haut niveau après avoir été internationale pour le XV de France féminin. Ces exemples ne sont pas connus, mais ce sont des exemples du quotidien. Ils montrent que ces femmes sont très motivées, même si ce n'est pas facile.

Après la sortie du livre, ce qui m’a touché, ce sont les retours des lecteurs et surtout de ceux qui ne connaissaient pas le sport mais qui ont été curieux et touchés par ces histoires de femmes.