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Mali : par où commencer ?

19 janvier 2022

Notre invité de la semaine revient sur la crise politique en cours au Mali et sur la nécessité de réformer le système électoral et la gouvernance.

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Jacques Ould Aoudia est chercheur indépendant en économie politique du développement. Il a travaillé notamment sur la relation entre Institutions et Développement.

Au micro de la Deutsche Welle, il fustige notamment le fait que les acteurs régionaux et internationaux ne se focalisent que sur la durée de la transition au Mali et non sur la réforme du système électoral et de gouvernance. Une réforme qu'il juge pourtant primordiale pour sortir le pays de la crise qu'il traverse. 

***

DW : Début février 2021, vous aviez publié une tribune sur le site internet du think thank Wathi intitulé Pourquoi ce titre ?

Jacques Ould Aoudia : La démocratie, elle s'appuie d'abord sur des dispositifs qui touchent la population d'une façon très, très proche, qui concerne la santé, qui concerne l'éducation, qui concerne la sécurité, qui concerne les questions foncières. Et c'est l'ensemble de ce dispositif qui permet de bâtir un processus électoral qui soit apaisé et qui soit compris et accepté par les populations. Or, là, on renverse complètement la situation. On ne parle que des élections et que de la date des élections. C'est ça que j'appelle la fétichisation des formes. Là, c'est la forme de la démocratie qui est touchée. Bien sûr que les élections, comme processus de désignation des dirigeants est important. On n'a pas trouvé mieux.

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DW : Vous plaidez pour que la pyramide ne soit pas renversée et que toutes les étapes d'une démocratisation saine soient respectées.

Jacques Ould Aoudia : Exactement. Par exemple, l'égalité dans l'accès aux services publics, à la santé, à l'école, etc.. La démocratie, elle, est basée sur un principe fort d'égalité : tous les citoyens sont censés être égaux devant la loi, etc.. D'ailleurs, chaque citoyen a un seul bulletin de vote, qu'il soit en haut ou en bas de l'échelle sociale.

DW : La plupart des pays africains de l'espace francophone expérimentent, depuis leur accession à l'indépendance en 1960, la forme unitaire de l'Etat avec une forte dose de décentralisation et avec les résultats mitigés que l'on connaît. Pourquoi ne pas essayer une autre forme d'état, le fédéralisme, par exemple ?

Jacques Ould Aoudia : Bien sûr qu'il faut changer la forme de gouvernance et donc la forme de l'état dans quasiment tous les pays d'Afrique et que ce changement, il doit s'élaborer d'une façon endogène, c'est à dire que c'est vraiment les sociétés qui doivent fabriquer leur état. Mais, si une société veut s'inspirer d'une autre expérience politique, c'est elle qui va chercher d'autres réponses qui ont été élaborées ailleurs et qui les importent dans son pays.

Or, on n'est pas dans cette situation. On est dans une situation où, de l'extérieur et souvent conditionné avec des financements, de "l'aide", on impose des solutions, plus ou moins subtilement.

Je prends l'exemple des deux mandats. Cette histoire des deux mandats présidentiels, ça a créé un nombre de problèmes immense dans quasiment tous les pays. Or, est ce que Mme Merkel, par exemple, a été limitée à deux mandats ? Elle est restée seize ans au pouvoir.

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DW : Angela Merkel est certes restée seize ans au pouvoir, à la chancellerie. Avec ce bémol, elle se serait retirée plus tôt si les Allemands l'avaient décidé, ce qui n'est pas forcement le cas dans beaucoup de pays africains.

Jacques Ould Aoudia : C'est vrai. Vous voyez bien que sur cette question, on se concentre sur la désignation des dirigeants politiques et je pense bien évidemment que cette désignation est un phénomène politique complexe et en plus, qui mobilise beaucoup les populations, qui mobilisent les passions.

Il y a toute une éducation qui doit se faire, et notamment à partir de dispositifs qui changent concrètement et qui améliorent concrètement la situation des populations. Et c'est ça qui crédibilise le phénomène. Et ensuite, c'est ça qui pacifie, à terme, le processus de désignation du président ou de la présidente.

DW : Et c'est peut être en raison de l'immensité des chantiers de la reconstruction démocratique du Mali que les militaires maliens ont pris le pouvoir et se propose de refonder complètement leur système politique décadent...

Jacques Ould Aoudia : Probablement. Les dirigeants de transition au Mali, ils sont tombés eux mêmes dans le piège de ce chronogramme. Ils sont tombés dans le piège, en acceptant de ne répondre qu'à cette question.

Je pense que c'est en revenant sur les fondements de la démocratie et les débats qui ont été posés dans tout le processus de concertation qui a eu lieu juste à la fin de l'année 2021, c'est de cela dont il faut parler. Qu'est ce qui a été discuté pendant ces assises dans tout le pays ? Et c'est de cela qu'il faut partir. C'est ça la base des élections. C'est le résultat de quelque chose. Ce n'est pas le point de départ.

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DW : Et ne pensez-vous pas que la mission de refondation que se propose de le faire les militaires maliens devrait échoir à un président élu démocratiquement par les Maliens ? 

Jacques Ould Aoudia : C'est un cercle ! Il faut transformer ça en cercle vertueux. Par où on commence ? C'est toute la question. Là, on est dans une situation où des militaires ont renversé la table, ont renversé l'ordre constitutionnel, ont pris le pouvoir parce que cet ordre constitutionnel, qui était issu d'élections, ne fonctionnait pas. Et ça fait des années et des années, des dirigeants et des dirigeants que cet ordre constitutionnel ne fonctionnait pas. Qu'est ce que la Cédéao et la communauté internationale veut ? Est ce qu'on veut revenir à l'état antérieur ?

C'est la même chose qu'en Tunisie. Je connais aussi la situation en Tunisie. Le président, le 25 juillet, il a aussi renverser la table et des gens ont crié au coup d'État, etc.. Mais qu'est ce qu'on voulait ? On voulait revenir à l'ordre constitutionnel qui était effectivement issu des élections, mais qui avait abouti à quoi ? A un chaos, au fait que les politiciens, ils se battaient entre eux pour des places, pour des rangs, pour des positions de pouvoir et ils avaient complètement abandonné la population.

DW : Pensez-vous que les sanctions adoptées par la Cédéao et l'Uemoa contre le Mali seront productives ?

Jacques Ould Aoudia : Elles n'ont aucun sens, ces sanctions. Et je suis très, très déçu que l'ONU emboîte le pas, que l'Union européenne emboîte le pas. Les pays occidentaux, ils sont en train de pousser le Mali et d'autres pays d'ailleurs dans les bras d'autres acteurs. Et parmi ces autres acteurs, c'est la Russie, c'est la Turquie et Israël, c'est le pays du Golfe, c'est la Chine. Est ce qu'on est là pour leur dérouler le tapis rouge? Or, c'est exactement ça qui est en train d'être fait. Il y a une façon néocolonial d'agir vis à vis du Mali aujourd'hui, qui va aboutir exactement au résultat inverse que les résultats espérés.

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